Accès
Accès en voiture
Emprunter l'autoroute A12 jusqu'à Bulle, puis prendre la direction de Château-d'Oex jusqu'à Albeuve. Un parking gratuit se trouve en bordure de la route principale, juste en face de l'Auberge de l'Ange.
Accès en transports publics
Le village d'Albeuve est accessible en train via la ligne ferroviaire Montbovon – Palézieux. Pour trouver la meilleure correspondance, consulter l'horaire en ligne des CFF.
D'Albeuve au Sex d'en Bas
J'ai quitté Albeuve en suivant le sentier balisé au nord du village qui longe la rive droite de la Marive, une rivière qui va se jeter dans la Sarine moins d'un kilomètre en aval. En levant les yeux, j'ai aperçu la croix du Vanil de l'Arche qui scintillait quelque 800 mètres plus haut. Elle me semblait à la fois si proche et pourtant si inaccessible.
Environ 400 mètres plus loin, à l'entrée des Gorges de l'Evi, se dressait la chapelle Notre-Dame de l'Ermitage, édifiée en 1894-1895 à proximité de l'endroit où s'était retiré un ermite au début du XVIIIe siècle. J'ai pris le temps de visiter le petit lieu de culte et la grotte voisine avant de reprendre ma route.
Très vite, à P. 809, le sentier pédestre quittait la route asphaltée. Le balisage jaune était accompagné d'un panneau annonçant l'entrée dans le district franc fédéral de la Dent de Lys. Celui-ci rappelait que les chiens doivent être tenus en laisse et que le camping ainsi que l'emploi de drones sont formellement interdits. Bien que l'utilisation des chemins soit recommandée, les quitter n'est pas prohibé; une liberté à exercer toutefois avec respect pour l'environnement.
Le chemin serpentait à travers une forêt dont les arbres, encore dénudés, laissaient filtrer la douce lumière printanière. Les premières fleurs – hellébores, primevères, cardamines et scilles – parsemaient le sous-bois de touches colorées, apportant vie à ce décor encore en partie endormi. À travers quelques trouées dans la végétation, j'ai pu contempler les impressionnantes Gorges de l'Evi, de profondes entailles creusées par la Marive au fil des millénaires. Leur étroitesse rendait presque impossible d'apercevoir la rivière qui murmurait au fond de cet abîme. Seule une chute d'eau latérale, dévalant la paroi avec une grâce hypnotique, offrait un spectacle visible, ses eaux se précipitant dans les profondeurs invisibles.
Parvenu à une bifurcation aux alentours de 835 mètres d'altitude, j'ai continué en direction de "Chablo Derrey". Juste après avoir franchi le lit asséché d'un ruisseau, j'ai quitté le sentier balisé pour m'engager sur un chemin ascendant sur ma gauche, bien tracé, mais dépourvu du moindre balisage.
La pente, quoique plus raide, restait tout à fait agréable à gravir, sans jamais devenir réellement pénible. Soudain, entre les arbres, un tableau désolant s'est dessiné devant moi: de l'autre côté de la Marive, la montagne portait une cicatrice béante, résultat visible de l'exploitation de la carrière de l'Evi. Ce calcaire gris, connu sous les noms de "marbre des pauvres" ou "calcaire de Neirivue", a été beaucoup utilisé dans la région pour la construction de nombreux bâtiments depuis l'époque gothique. Aujourd'hui, il est avant tout destiné à des usages bien moins nobles, comme les gabions (ces paniers métalliques remplis de cailloux) ou l'enrochement. Il est étonnant de penser qu'au XIXe siècle, pas moins de 150 carrières étaient actives dans le canton de Fribourg; pourtant, celle-ci fait désormais partie des rares sites encore en exploitation. Malgré son aspect peu réjouissant, cette entaille présentait un intérêt géologique: la roche mise à nu dévoilait clairement ses stratifications et le pendage de ses couches, un spectacle naturel fascinant à observer. Fort heureusement, ce jour-là, le silence régnait, aucune machinerie ne perturbait la quiétude de ces lieux.
À ma grande surprise, le sentier serpentant à travers le sous-bois était bien entretenu et en excellent état. Contrairement aux indications des cartes topographiques, le chemin ne s'évanouissait pas en pleine forêt; bien au contraire, il m'a mené sans aucune difficulté jusqu'au pâturage verdoyant du Sex d'en Bas.
Du Sex d'en Bas à l'Ombriau d'en Bas: entre prairies et barbelés
Par une courte montée sur l'herbe encore rase, j'ai atteint la ferme d'alpage et le chemin carrossable. Pour rejoindre les chalets du Sex du Milieu puis du Sex d'Amont, le plus simple aurait certes été de suivre cette piste. Cependant, j'ai préféré m'aventurer sur le pâturage désert en direction sud-sud-ouest. Une sente à vaches m'a ensuite guidé à travers une bande d'arbres jusqu'au pâturage du Sex du Milieu. Si le gain de temps a été minime, marcher sur ces prairies printanières s'est révélé bien plus plaisant qu'arpenter une route monotone et poussiéreuse.
Soudain, un souffle rauque a déchiré l'air, me faisant sursauter. En me retournant, j'ai découvert la source de ce vacarme: une montgolfière, jusque-là cachée derrière un rideau d'arbres, expulsait bruyamment du gaz pour chauffer l'air du ballon. Le village de Château-d'Oex, tout proche, est surnommé la capitale suisse des montgolfières, et il n'est effectivement pas rare d'observer ces élégants engins voleter dans les airs de la Haute Gruyère et du Pays d'Enhaut. D'ailleurs, d'autres montgolfières flottaient doucement à l'horizon, égayant le ciel de leurs couleurs éclatantes.
J'ai repris mon ascension en direction ouest-sud-ouest, mais je me suis vite heurté à un obstacle inattendu: une triple clôture de fil de fer barbelé. J'ai pesté intérieurement, ne voyant pas comment la franchir sans endommager mes pantalons flambant neufs. Par chance, j'ai repéré une vieille souche providentielle sur laquelle j'ai pu grimper pour sauter de l'autre côté. Mais les difficultés n'étaient pas terminées: les prairies se trouvaient enserrées par d'autres réseaux de ces épines métalliques infernales. J'ai mis le cap à l'ouest, guettant un passage dans la clôture, avant de tomber sur un chemin bien marqué au nord-ouest du chalet du Sex d'Amont. Ce sentier, indiqué sur les cartes topographiques, était précisément celui que je cherchais à rejoindre. Soulagé de ne pas devoir affronter d'autres barbelés, j'ai poursuivi mon inexorable et douce ascension sur ce chemin agréable qui, après avoir traversé une petite forêt, m'a conduit à l'alpage de l'Ombriau d'en Bas. Le sentier s'est vite perdu dans le pâturage, mais le chalet d'alpage, visible au loin, m'a permis de rejoindre rapidement la route d'accès qui passait à proximité.
Toponymie de l'Ombriau: quand l'ombre fait place au nombril
D'après certaines sources, le toponyme "Ombriau" viendrait du latin "umbra", signifiant "ombre, lieu ombragé, lieu sombre", et désignerait un versant montagneux peu ensoleillé, généralement orienté vers le nord. Pourtant, les trois pâturages concernés bénéficient d'une exposition sud ou est, ce qui constitue une véritable incohérence!
Intrigué par cette contradiction apparente, j'ai approfondi mes recherches. Sur les cartes Dufour, utilisées jusqu'à la fin des années 1930, le Vanil de l'Arche portait le nom de "Lombriaou", lequel est devenu "l'Ombriau" sur les cartes Siegfried, en usage jusqu'au milieu des années 1950. Le nom semble donc être "descendu" vers les alpages. Selon Henri Jaccard, dans son ouvrage "Essai de toponymie", ce toponyme pourrait provenir du latin "umbilicus" ou du provençal "umbrilh", tous deux signifiant "nombril". Le nombril, cette petite cavité au centre du ventre qui constituait l'extrémité du cordon ombilical, pourrait alors symboliser la position de ce sommet, situé précisément à l'extrémité septentrionale de la chaîne de la Dent de Lys. Le "Lombriaou" représenterait-il ainsi un nombril géographique? Cette hypothèse me semble personnellement bien plus convaincante que celle de l'ombre!
De l'Ombriau à la croix du Vanil de l'Arche
En regardant vers l'ouest, j'ai remarqué un énorme névé résiduel au sommet du Vanil Blanc. Je me suis demandé si son ascension serait possible sans encourir de danger. La crête, que j'avais prévu d'emprunter, paraissait dégagée et dépourvue de neige, mais avant de pouvoir conquérir le Vanil Blanc, une étape s'imposait: gravir le Vanil de l'Arche…
Depuis le chalet de l'Ombriau d'en Bas, aucun chemin ni sente ne traçait la montée, mais en regardant vers le nord, la croix du Vanil de l'Arche scintillait environ 180 mètres plus haut. J'ai donc attaqué la pente en diagonale, de gauche à droite. Certes raide, elle offrait néanmoins des marches naturelles qui facilitaient grandement la progression. J'ai ainsi gagné une large épaule sur la droite, que j'ai ensuite gravie jusqu'à atteindre la grande croix blanche qui se détachait sur le ciel azur.
De là, le panorama s'étalait à presque 360 degrés, offrant un spectacle grandiose et saisissant. Au nord-ouest se découpaient le Teysachaux et le Moléson, reliés par une crête élancée. Au nord-est, les deux pics d'Entre Deux Dents dominaient le paysage, tandis qu'en arrière-plan, la trilogie Dent de Broc, Dent du Chamois et Dent de Bourgo se détachait avec netteté. À l'est, le massif du Vanil Noir exhibait ses pics imposants.
De la croix au sommet du Vanil de l'Arche
La croix ne se trouvait pas exactement sur le point culminant. Celui-ci était niché quelque 250 mètres plus à l'ouest. Jusqu'ici, aucune difficulté technique particulière n'avait entravé ma route. Depuis la croix, une sente relativement bien marquée serpentait le long de la crête. Bien que la végétation ait été parfois touffue, je suis toujours parvenu à dénicher un passage entre les arbres, sans jamais avoir besoin de trop m'éloigner du fil de la crête.
Quelques minutes plus tard, j'ai foulé le petit replat sommital mi-herbeux, mi-rocheux du Vanil de l'Arche, dépourvu de croix ou de cairn. Le versant nord, composé de falaises vertigineuses, dévoilait un impressionnant précipice sur le vallon de la Marive.
Comme évoqué précédemment, le nom "Vanil de l'Arche" est récent (fin des années 1950). Il est "monté" de la forêt de L'Arche qui habille le versant est sous la croix, pour remplacer les anciens oronymes Lombriaou et l'Ombriau. Le toponyme de la forêt puiserait son origine dans l'ancien français "arche" et du patois "artzé" qui désignent des "croupes plus ou moins arrondies en arc et en pente rapide séparées par des couloirs", une description qui épouse parfaitement le relief tourmenté des lieux. Quant à "Vanil", issu du gaulois "vanno" et signifiant "pente escarpée, sommet", il orne des dizaines de cimes gruériennes.
Du Vanil de l'Arche au Vanil Blanc: une traversée alpine
J'ai poursuivi sur la crête, en empruntant la vague sente, alternant entre pentes herbeuses, zones rocailleuses et forêts clairsemées. Malgré quelques groupes d'arbres denses qui semblaient infranchissables de loin, j'ai toujours découvert un passage suffisamment large pour progresser, tandis que la trace discrète me guidait instinctivement vers les meilleurs passages, lesquels restaient toujours assez proches de la crête.
J'étais parvenu à une selle sans rencontrer d'obstacle majeur. Un faux plat montant m'a conduit au pied de la première vraie difficulté de la randonnée: un ressaut mixte (mi-herbeux, mi-rocheux) légèrement exposé, nécessitant l'usage des mains pour le gravir. La ligne à suivre était cependant évidente, et en un clin d'œil le passage ludique était franchi. Quelques mètres plus haut, un deuxième obstacle similaire se négociait de la même manière. La pente s'est ensuite adoucie progressivement.
Vers 1800 mètres d'altitude, je me suis retrouvé au bord d'un gigantesque névé résiduel bloquant la voie. La neige molle cédait sous mes pieds à chaque pas, m'engloutissant jusqu'aux genoux, et parfois même davantage. Mes bâtons, auxquels j'avais déjà enlevé les rondelles d'hiver, se sont révélés plus encombrants qu'utiles, s'enfonçant profondément dans la masse neigeuse sans offrir le moindre appui. Après une centaine de mètres de lutte, qui m'ont paru interminables, une bande herbeuse m'a finalement libéré de ce piège blanc, me permettant de terminer l'ascension de façon moins hostile et de gagner le sommet du Vanil Blanc coiffé d'une modeste croix en bois. Ce sommet semble avoir été nommé ainsi par opposition au Vanil Noir, qui lui fait face à l'est.
Si le névé n'est présent qu'en début de saison, les deux ressauts légèrement exposés, déconseillés aux personnes sujettes au vertige, justifient pleinement la cotation T4 de cette traversée.
Du Vanil Blanc à Ecosalla
Le guide du CAS préconise de descendre par la crête sud-est. Préférant cependant allonger l'aventure plutôt que de regagner la vallée trop vite, j'ai opté pour la crête sud-ouest. Soudain, un bruit sec m'a tiré de mes rêveries: un chamois, visiblement aussi surpris que moi, se tenait à quelques dizaines de mètres, séparé de moi par une barre rocheuse. En un éclair, il s'est volatilisé dans la végétation touffue, me laissant seul, émerveillé par cette rencontre furtive et inattendue.
Au col (P. 1766), j'ai analysé mes options pour la suite de l'itinéraire. L'arête menant au Petit Sex (P. 1880), particulièrement raide et cotée T6, n'était envisageable qu'avec un piolet, mais le mien était resté sagement à la maison. Quant à traverser le versant est du Petit Sex, les névés fissurés qui persistaient dans la face et les coulées de neige spontanées observées plus tôt m'ont dissuadé de toute tentative: la prudence l'emportant sur l'audace.
Déçu, mais résolu, j'ai entamé la descente dans la combe de l'Ecosalla. La première partie était assez raide, et j'ai dû serpenter à travers un dédale de roches et d'herbe, et contourner des mini-falaises qui se dressaient tout à coup sur mon chemin. Vers 1650 mètres d'altitude, la pente s'est adoucie, laissant place à des prairies parsemées d'éboulis.
Alors que j'avais repris mes contemplations, un milan royal planant majestueusement dans le ciel voilé a capturé mon regard. Mais le clou du spectacle fut une harde d'une trentaine de chamois, paissant tranquillement sur un versant de la montagne. Il était midi, mon estomac gargouillait, et je n'aurais pas pu trouver un meilleur endroit pour faire une pause. Je me suis donc assis pour manger, hypnotisé par ce ballet sauvage qui se déroulait sous mes yeux. Hélas, le fracas d'une nouvelle coulée de neige qui a cassé quelques branches a effrayé les animaux, qui ont disparu vers l'est par une série de bonds gracieux.
D'Ecosalla à Albeuve: retour vers la civilisation
En passant entre les deux chalets d'Ecosalla, je me suis demandé ce qui se cachait derrière ce toponyme, dont je n'ai malheureusement pas réussi à trouver l'origine. J'ai poursuivi ma descente sur la pente herbeuse jusqu'à un large chemin forestier qui m'a mené au pâturage du Servan. Là, la trace disparaissait vite dans l'herbe, mais surtout, le terrain était clôturé par de maudits fils de fer barbelés. Le défi consistait une nouvelle fois à trouver comment déjouer ce piège. Heureusement, un portail situé au nord de la ferme m'a permis de rejoindre sans encombre la route.
J'ai arpenté l'asphalte jusqu'au chalet des Dâves, puis j'ai traversé la prairie en direction nord-est en longeant la lisière d'une forêt éparse jusqu'à atteindre un chemin bien marqué et indiqué sur les cartes topographiques. Celui-ci m'a conduit jusqu'au pâturage de La Cuvignette, où j'ai rejoint un sentier pédestre balisé en jaune qui m'a ramené jusqu'au point de départ à Albeuve, bouclant ainsi cette splendide randonnée.